Santé publique : les mutuelles appellent à agir contre les dangers des pesticides

par Martin Rieussec-Fournier

Pour la santé publique, des mutuelles s’engagent faire stopper l’exposition aux pesticides. Elles renvoient à l’exemple de l’amiante, interdit en 1997. Le point de vue de Martin Rieussec-Fournier, administrateur de la mutuelle familiale.

Un événement inédit pour le mouvement mutualiste Français a eu lieu en ce début d’année 2024. Alors que les impacts sanitaires des pesticides sont documentés scientifiquement depuis 1962 avec le livre de Rachel Carson, Printemps silencieux, les mutuelles de santé étaient restées depuis un demi-siècle en retrait, absente du débat public sur ce sujet. Les voici désormais engagées et forces de propositions.

40 dirigeants mutualistes représentant plus de six millions de personnes ont lancé un appel à la mobilisation au sein du journal Le Monde avec la tribune « Pesticides : tirons du drame de l’amiante des leçons pour l’avenir ». Cet appel marque le début d’une mobilisation importante en faveur de la santé publique et de la santé planétaire en France et en Europe.

La première étape de la mobilisation des mutuelles vis-à-vis des pesticides fut la réalisation d’un colloque au Sénat le 5 février dernier. La deuxième sera réalisée avec une délégation de 14 mutuelles pour remettre au Premier Ministre des demandes afin de faire face aux dangers des pesticides et de l’amiante. La troisième aura lieu jeudi 11 avril 2024 au Parlement européen à Bruxelles avec des mutuelles européennes.

Pourquoi la mobilisation des mutuelles pour la prévention des dangers des pesticides est-elle à la fois légitime, utile et nécessaire ? Si nous mutualistes avons un rôle essentiel à jouer, c’est parce qu’Ambroise Croizat, ministre du Travail de novembre 1945 à mai 1947, qui a mis en place la Sécurité sociale, nous a donné cette responsabilité d’agir dans le champ de la prévention avec l’ordonnance du 19 octobre 1945 : « La Mutualité a sa place marquée dans l’organisation française de la Sécurité sociale. Elle doit être l’élément moteur, l’élément qui prend les initiatives nouvelles et réalise les expériences, qui va de l’avant. ».

Le coup des maladies chroniques

Les maladies et pathologies associées aux pesticides sont multiples : cancers, troubles de la fertilité, malformations congénitales, troubles cognitifs. Les premières personnes exposées sont les travailleurs agricoles, premiers utilisateurs de ces poisons. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été inscrit au tableau des maladies professionnelles certaines de ces pathologies (cancers de la prostate et du sang, Parkinson…).

Alors que les industriels des pesticides essayent de faire croire qu’il n’y a aucun danger à l’utilisation de ces produits si les bonnes pratiques sont respectées, la réalité est d’une toute autre nature. Les vêtements de protection individuelle sont défaillants et même des petites expositions répétées peuvent causer de graves maladies et tuer. Au-delà des travailleurs les plus exposés, c’est toute la population qui est concernée par la pollution diffuse et systémique aux pesticides.

À notre insu, nous retrouvons des résidus de pesticides dans nos aliments, nos corps, nos urines mais aussi dans l’air, les sols, les nappes phréatiques et les rivières. Ces expositions contribuent à la hausse continue depuis plusieurs décennies des maladies chroniques qui touchent aujourd’hui 23 millions de Français. Soit un Français sur trois. Notre système de protection social ne pourra pas supporter économiquement une telle trajectoire. Il est temps de changer de cap.

Le précédent de l’amiante

Pour réussir à changer de cap, il n’y a rien de tel que de prendre le temps de comprendre les enseignements de réussites passées. L’interdiction de l’amiante en 1997 a été l’une des grandes victoires pour la prévention et la santé publique des dernières décennies. Une victoire dont nous devons reconnaître le caractère partiel car il reste toujours 200 000 tonnes d’amiante en France dans les bâtiments. La gestion défaillante de cet héritage génère encore aujourd’hui des intoxications. Mais, revenons sur le sujet des enseignements. Quels ont été les ingrédients pour gagner l’interdiction de l’amiante et comment nous en inspirer ?

D’un point de vue scientifique, les preuves de la dangerosité de l’amiante étaient de plus en plus nombreuses et convergentes. Au niveau des victimes, des associations de soutien étaient très actives et organisées pour obtenir la réparation des préjudices souvent grâce à de multiples procès gagnés.

Parfois des mutuelles de santé ont d’ailleurs apporté une contribution logistique et financière à ces associations de soutien aux malades. Et enfin, dernier élément, les médias dans les années 1990 ont été un relais important des mobilisations devant les tribunaux.

Tout cela a permis une pression positive vers les responsables politiques, dont la traduction a été l’interdiction de l’amiante et la création du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Aujourd’hui, pour faire cesser l’empoisonnement aux pesticides, les mutuelles peuvent jouer un rôle pivot et actualiser trois éléments facteurs de succès contre l’amiante : solidarité avec les victimes ; connaissance et démocratisation de la littérature scientifique ; participation au débat public avec une présence médiatique.

C’est dans cette perspective que nous préparons un colloque au Parlement Européen jeudi 11 avril à Bruxelles. Nous y réunirons des mutuelles de santé européennes, des associations de défenses victimes de l’amiante et des pesticides, des organisations motrices pour une agriculture sans pesticides et bien sûr des députés européens et la Commission européenne.

Le temps est à l’action

Il a fallu plus de 90 ans pour faire interdire l’amiante en France. En 1906, il est établi le premier rapport sur la toxicité de ce minerai et en 1997 l’interdiction. Pour les pesticides, nous devons en obtenir la sortie rapidement, et pas dans un demi-siècle, car la situation est très grave. La responsabilité des pesticides dans l’effondrement de 70% de la quantité des spermatozoïdes humains et de la disparition de 80% des populations d’insectes volants est aujourd’hui établie.

Il n’y a pas la santé des humains d’un côté et la santé de la biodiversité de l’autre. Nos destins sont liés. Nous mutualistes, devons construire des plans d’actions communs dans une perspective à plusieurs années entre mutuelles en France et en Europe au sujet des pesticides et des bienfaits de l’agriculture biologique.

Le temps est à l’action pour les mutuelles de santé sur un des déterminants majeurs de la santé publique. Nous relèverons ce défi main dans la main avec les agriculteurs, les syndicats, l’État français et l’Union européenne. Nous sommes tous une pièce du puzzle de la solution. Le temps est à l’action pour répondre simultanément à la sécurisation des revenus des agriculteurs, à la préservation de la biodiversité et de la santé publique. Le temps est à l’action pour réunir les enjeux et trouver des solutions justes et durables. Les mutuelles de santé ont tout leur rôle à jouer pour faire advenir une planète en bonne santé pour des humains, eux aussi en bonne santé.

Martin Rieussec-Fournier, administrateur de la Mutuelle familiale, cofondateur du mouvement Générations cobayes, de #LesJoursHeureux et de la campagne Secrets toxiques.