Environnement

Avec la SNCF, acheter des déchets dangereux, c’est possible

Environnement

par Ivan du Roy

L’association Robin des Bois part en guerre contre les pratiques commerciales de l’entreprise publique : revendre ses traverses de bois réputées toxiques.

C’est un lourd réquisitoire que dresse l’association Robin des bois contre la SNCF et le Réseau ferré de France (RFF). Ces deux entreprises publiques « déraillent » selon la petite association écologiste. Elles sont accusées de commercialiser des déchets dangereux qui se retrouvent en vente libre, sans aucun avertissement, via la grande distribution ou des sites internet. En cause : les traverses en bois qui composent les voies ferrées. Ces poutres de 75 kg et longues d’environ 2 m sont traitées chimiquement pour résister aux intempéries. Elles sont imprégnées de créosotes, une sorte d’huile à base d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), extrêmement cancérigènes. « On dispose de peu d’informations concernant les effets de la créosote de goudron de houille sur la population générale. Par contre, il y a eu des cas d’intoxication accidentelle par la créosote dus principalement à l’utilisation de ce produit comme pesticide. La mort est survenue après ingestion d’environ 1 à 2 g (enfants) ou d’environ 7 g de créosote (adultes) », précise Robin des Bois, s’appuyant sur une étude du Programme internationale sur la sécurité chimique (IPSC) de l’OMS.

Le bois créosoté est donc classé comme « déchets dangereux ». Sa mise sur le marché répond à des critères stricts. Son usage ne peut être qu’industriel. L’emploi de bois créosoté est interdit à l’intérieur des bâtiments, dans la fabrication de meubles et pour les équipement des parcs ou des aires de jeu. Il ne peut être brûlé qu’à certaines conditions, sinon les HAP contaminent l’air ambiant. Enfin, tout déchet dangereux, s’il est commercialisé, doit être accompagné d’un bordereau de suivi. L’entreprise émettrice de ces déchets doit en tenir un registre précis. Or, rien de tout cela n’existe à la SNCF. Pire, on retrouve des traverses de bois créosoté chez des particuliers, délimitant un potager, transformé en parquet, et même recyclé en charbon de bois pour barbecue. « Dans les autres pays européens, les traverses de chemins de fer, une fois retirées, sont acheminées vers des unités de traitement, comme en Suède où elles sont recyclées en copeaux de bois puis utilisés comme source énergétique dans l’industrie. Toute vente d’occasion est interdite », explique Kalidjata Meite, de Robin des Bois. Problème : la SNCF elle-même est incapable de donner un état précis de ses stocks de bois créosoté. Selon la SNCF (1), 40 000 tonnes de traverses « en fin de vie » sont retirées des voies chaque année. 50% sont vendues à l’étranger, « en particulier en Afrique », à des architectes ou des municipalités. Les restrictions d’utilisation sont communiquées aux acheteurs, assure-t-on. Les 50% restants sont éliminés.

Barbecue toxique ?

Faux rétorque Robin des Bois. S’appuyant sur un audit suisse de l’Ecole polytechnique de Lausanne, commandé par la SNCF en 2005, l’association avance le chiffre de 105 000 tonnes par an, soit plus du double. « 10% des traverses retirées sont éliminées par la société Sidénergie (basée dans le Lot) qui les recycle en charbon de bois à usage domestique, grâce à une autorisation discutable du ministère de l’Ecologie et du Développement durable », précise Kalidjata Meite. Ce charbon de bois était vendu sans étiquetage dans les hypermarchés Leclerc jusqu’à ce qu’il soit retiré des rayons fin 2006, sans explication. « Les 90% restants sont disséminés : vendus 6 euros la traverse à des grossistes qui les revendent trois fois plus chers à des paysagistes ou des particuliers, commercialisés directement par la SNCF, ou laissés au bord des voies. » L’association a rencontré la SNCF à l’automne 2006. Celle-ci prépare une « notice de réemploi des poteaux (2) et des traverses en bois traités ». « La législation nous autorise à les valoriser en les revendant à des industriels. Notre pratique n’est pas contraire à la réglementation mais n’est pas satisfaisante », reconnaît Jean-Georges Heintz, de la direction déléguée au développement durable et à l’environnement de la SNCF. Il déplore l’absence de filière de recyclage en France. Le remplacement des traverses va s’accélérer dans les dix prochaines années avec le renouvellement des vieilles voies ferrées. Il serait temps que l’entreprise publique et son principal actionnaire, l’Etat, s’intéresse aux milliers de tonnes de déchets toxiques que cela va produire. Robin des Bois envisage d’alerter les parlementaires.

Ivan du Roy

(1) Citée par l’étude du Centre Technique du Bois et de l’Ameublement (CTBA) commandée par l’Ademe (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) et remis fin 2005.

(2) France Télécom utilise également du bois créosoté pour la base enterrée des poteaux électriques.