Gouvernement Sarkozy

Identité nationale : êtes-vous plus Français qu’Eric Besson ?

Gouvernement Sarkozy

par Agnès Rousseaux

Le débat sur l’identité nationale est lancé. Le ministre Éric Besson a précisé, dans une lettre-circulaire envoyée le 2 novembre, les thématiques qu’il souhaite voir abordées lors des débats locaux sur le sujet. Les questions sont d’un goût douteux et les réponses suggérées assez inquiétantes. Dans ce document adressé aux préfets, il est question de célébrer l’identité nationale, de « réaffirmer la fierté d’être Français » et de se demander, entre autres, « pourquoi intégrer les ressortissants étrangers accueillis dans notre République ? » Petite visite dans l’arrière-cuisine de ce débat qui sent vraiment le moisi.

Dans une lettre envoyée aux préfets, Éric Besson précise les modalités de mise en œuvre du grand débat sur l’identité nationale, qui répond selon lui « aux préoccupations soulevées par la résurgence de certains communautarismes, dont l’affaire de la Burqa est l’une des illustrations ». En annexe de cette lettre-circulaire, un guide pour la conduite des débats locaux présente « les différents chapitres qu’il est souhaitable d’aborder lors de chaque réunion  ».

Les préfets doivent organiser ces débats, dans chaque département, d’ici le 31 janvier, avant la synthèse des travaux lors d’un colloque national. Au programme de ces rencontres locales, des questions proposées par le ministre et son équipe. Avec des suggestions de réponses possibles, qui sont autant de propositions à débattre. Et qui ont l’avantage non négligeable de cadrer le débat, voire de l’encadrer.

La première question invite à réfléchir sur « les éléments de l’identité nationale  ». Il est suggéré que « nos églises et nos cathédrales » puissent être un élément de réponse. Dans la liste des « valeurs de l’identité nationale », on trouve bien sûr les droits de l’Homme, la démocratie, la liberté, l’égalité, la laïcité, et... l’entreprise. Bientôt sur le fronton de nos édifices ?

Tout cela n’est qu’un petit échauffement. Arrivent ensuite les questions pièges : « Pourquoi accueillir des ressortissants étrangers dans notre République, puis dans notre communauté nationale ? » et « Pourquoi intégrer les ressortissants étrangers accueillis dans notre République, puis dans notre communauté nationale ? ». La question n’est pas de savoir comment (bien) le faire, mais d’abord si cela présente un intérêt.
Dans les réponses suggérées, pas question de commencer par les impératifs de respect des droits, de la démocratie ou des libertés (pour des réfugiés fuyant une guerre ou une dictature par exemple) mais de regarder en priorité les petits intérêts de la France : « Le besoin de personnes qualifiées pour certains métiers ?  », « les emplois non pourvus dans notre économie ? », et ensuite seulement le droit au regroupement familial ou le droit d’asile.

Comment éviter que les pauvres viennent nous emmerder ?

Dans les raisons « d’intégrer les ressortissants étrangers accueillis dans notre République », on trouve aussi quelques questions essentielles pour Éric Besson : « Comment éviter la concentration d’une part importante de la population immigrée dans des zones où les difficultés socio-économiques s’accumulent ? », « Comment éviter l’arrivée sur notre territoire d’étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant, dans une partie de la population, la suspicion vis à vis de l’ensemble des étrangers ? ». En expulsant tous les Afghans pardi ! Ou en délocalisant les parpaings du Mur de Berlin sur les plages méditerranéennes... On pourrait suggérer que c’est peut-être ce genre de questionnaire qui entretient la suspicion.

Une autre question porte sur le droit de vote des ressortissants étrangers au sein de la République : « Faut-il étendre le droit de vote aux élections locales, existant déjà pour les ressortissants des 27 États membres de l’Union européenne, à d’autres nationalités, notamment celles des pays qui ont, dans leur histoire, fait partie de notre République ? ». Le ministre Besson est-il est train de suggérer que les Algériens, les Sénégalais, les Nigériens... sans doute parce qu’ils portent en eux un peu des valeurs françaises transmises pendant l’expérience « très positive » de la colonisation, pourraient à ce titre bénéficier du droit de vote aux élections locales ? Un droit de vote dont seraient exclus les étrangers n’ayant pas cette chance de venir d’une ancienne colonie française ?

Surtout ne pas oublier la question fourre-tout : « La maîtrise des flux de personnes, de marchandises, de services, de capitaux, est-elle nécessaire au maintien de l’identité nationale ? » Et la question philosophie de comptoir : « Abolir les frontières, est-ce s’ouvrir aux autres ? ».

Des fonctionnaires du ministère pas très Français

Enfin, parce qu’il s’agit d’être pragmatique et concret, le guide pour les débats locaux pose La question essentielle : « Comment mieux célébrer l’identité nationale ?  ». Comme la rendre visible, palpable, évidente, voire écrasante ? De là, une sous-question s’impose : « Quels sont les acteurs de la transmission de la fierté nationale ? ». Le genre de question qui rappelle quelques mauvais souvenirs... D’autant que le guide insiste : « Comment imposer le respect des symboles de la Nation ? ». Une des propositions citées par ce guide est « d’accroître la place des symboles de la République (drapeau, Marianne) dans l’ensemble des édifices publics ». Et pourquoi pas ressortir les poussiéreuses francisques vichyssoises ?

Besson propose également d’augmenter le niveau de connaissance de la langue française demandé lors de l’entretien d’assimilation. Une requête qui peut paraître ironique alors que la circulaire, dans le même paragraphe, évoque des « temps fors » (sic) et « une nouvelle vois d’accès accéléré » (double sic) qui laissent supposer quelques lacunes en matière d’orthographe de la part de ses collaborateurs.

En lisant ce guide, on se pose tout de même une question. Ça tombe bien, Éric Besson y pense aussi : « Pourquoi la question de l’identité nationale génère-t-elle un malaise chez certains intellectuels, sociologues ou historiens ? ». Il n’y a vraiment pas de quoi !

Sans doute perturbé par sa propre identité politique fluctuante, Besson s’acharne dans sa quête d’identité nationale à vouloir dresser la liste des critères de francitude. Une vision qui enferme et nie les identités multiples, mouvantes et protéiformes qui ont façonné et façonnent encore la France. Le ministère cherche à exclure ceux qui n’entreraient pas dans les cases d’une identité formatée et fantasmée. Une obsession qui apparaît entre les lignes de ce questionnaire. Au point de se demander comment Éric Besson a pu oublier dans sa liste de questions la plus essentielle, celle que les communicants au service d’un certain Maréchal Pétain avait eu l’audace de poser : « Êtes-vous plus Français que lui ? ». Un nouveau slogan pour le ministère de l’identité nationale ?

Agnès Rousseaux

Circulaire du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, relative à l’organisation du grand débat sur l’identité nationale :