États-Unis

Les milices pro-Trump, « troupes de choc » des politiques suprémacistes, anti-ouvrières et anti-femmes

États-Unis

par Emilie Rappeneau

Début octobre, le FBI a déjoué une tentative de kidnapping d’une gouverneure démocrate aux États-Unis. Les suspects arrêtés sont tous liés à une milice d’extrême droite. D’autres groupes paramilitaires d’extrême droite prospèrent depuis plusieurs années, étroitement liés à certains membres des forces de l’ordre. Tour d’horizon.

« Ce sont les troupes de choc officieuses d’un agenda Républicain. Au cœur de cet agenda se trouve la suprématie blanche, des politiques anti-ouvrières et anti-femmes, ainsi qu’une idéologie théocratique de suprématie chrétienne qui se manifeste en ce moment même dans le système judiciaire. » Voici comment Jeremy Scahill, fondateur du journal indépendant The Intercept, qualifie les milices paramilitaires d’extrême droite aux États-Unis [1]. Soutenus par Donald Trump, ces groupes armés ont des ambitions à grande échelle. Début octobre, le FBI a déjoué une tentative de kidnapping de la gouverneure démocrate du Michigan, Gretchen Whitmer. Les treize suspects arrêtés étaient liés à une milice nommée les Wolverine Watchmen.

Selon Jeremy Scahill, Donald Trump, en soutenant des milices d’extrême droite, n’a fait qu’attiser des tendances violentes et racistes qui font partie intégrante de l’histoire des États-Unis, de l’extermination des amérindiens à la ségrégation en passant par l’esclavage. Le Armed Conflict Location & Event Data Project (Projet statistique de localisation des conflits armés, ACLED), en collaboration avec le blog MilitiaWatch, ont tenté d’identifier ces milices paramilitaires, de comprendre leur émergence et d’analyser leurs liens historiques avec les forces de l’ordre.

Les milices paramilitaires modernes « dynamisées », en réaction à l’élection de Barack Obama

« Ces mouvements d’extrême-droite se sont dynamisés en réaction à l’élection de Barack Obama en 2008 », rappelle Hampton Stall, fondateur de MilitiaWatch et chercheur chez ACLED. Ses propos font écho à ceux du sociologue Noël Cazenave, selon lequel les groupes paramilitaires réagissent violemment aux avancées politiques et économiques obtenues par les Afro-Américains [2]. Le rapport de ACLED sur le sujet estime que l’activité des milices a augmenté lors de l’été 2020 en réaction aux manifestations Black Lives Matter suite à la mort de George Floyd, mais aussi en soutien aux manifestations anti-masques et anti-confinement.

L’activité des milices et groupes armés aux États-Unis du 24 mai au 17 octobre 2020. © ACLED

Des milices composées en majorité d’hommes blancs

« Les membres de milices sont majoritairement des hommes blancs », pointe la journaliste Emily Gorcenski qui a créé le projet HowHateSleeps (Comment la haine dort). À travers les photos des chambres de ces suprémacistes blancs, HowHateSleeps explore la banalité du mal. « Le mythe du capitalisme prédit que, de par leur blancheur et leur masculinité, ils devraient bénéficier d’un statut économique supérieur. » En conséquence, face à leurs échecs, certains hommes blancs ressentent un besoin de violemment réformer la société dans le but de rendre ce statut atteignable, sans remettre en question la mythologie capitaliste. « Le capitalisme a besoin de la suprématie blanche pour survivre » analyse t-elle, revenant sur la façon dont le concept de « supériorité blanche » a permis l’exploitation économique des Afro-Américains à travers l’esclavage, ou l’accaparement des terres où vivaient les Amérindiens.

À lire sur le sujet :
 notre entretien avec l’historienne Sylvie Laurent : « Une large partie des Américains blancs aiment s’entendre dire qu’ils sont spoliés par d’autres »

Des liens ténus entre les milices et les forces de l’ordre américaines

Trois principaux types de milices d’extrême droite sont identifiées. Les plus connues sont les milices dites « mainstream ». Ces dernières organisent des missions qu’elles considèrent de sécurité publique, comme des patrouilles armées, en appuyant les forces de l’ordre locales. Ces milices voient les militaires et les policiers comme leurs alliés, partageant le même objectif implicite de préserver les systèmes de production et de gouvernance pro-blancs et patriarcaux. « La police descend des chasseurs d’esclaves : elle a toujours été une institution de la suprématie blanche », explique Emily Gorcenski. « Naturellement, lorsqu’un individu veut exercer du pouvoir sur les autres, rejoindre la police est une solution facile. » Pour la journaliste, le maintien de l’ordre relève d’un engagement communautaire.

Parmi ces milices « mainstream » figurent Light Foot, les Oath Keepers et les Three Percenters. Ces trois groupes sont emblématiques des peurs conservatrices face à un président noir, face aux demandes de régulation en matière d’armes à feu ou d’impôts plus importants. Les Oath Keepers recrutent parmi les agents de polices, qu’ils soient en activité ou à la retraite, ainsi que chez les vétérans de l’armée. Leur nom signifie « les protecteurs du serment », en référence au serment des forces de l’ordre de protéger les États-Unis d’ennemis intérieurs et extérieurs.

« Même en étant explicitement anti-État, ces milices voient la police comme leurs alliés contre leurs ennemis ressentis, que ce soit les manifestants Black Lives Matter ou les antifa [Les supporters de Trump et l’extrême droite américaine utilisent ce terme, contraction de « anti-fasciste », pour qualifier tous les manifestants revendiquant la justice sociale, l’anti-racisme, la lutte contre l’homophobie ou contre le capitalisme.]] », explique Hampton Stall. « L’impact économique du confinement ainsi que ces manifestations pour la justice sociale sont des menaces existentielles pour l’extrême droite. La police, elle, se sent menacée par les récents débats sur la diminution du financement des forces de l’ordre. » [3]. De cette oppression ressentie résulte un soutien mutuel, direct ou tacite, ainsi qu’un traitement de faveur des milices par les forces de l’ordre.

Les milices de rue, à l’origine d’actions violentes, mais peu poursuivies en justice

Les milices de rue constituent une deuxième catégorie. Elles sont responsables de la majorité des actions violentes associées à des mouvements paramilitaires. Ces groupes jeunes et masculins se complaisent dans l’idée des combats de rues, virils et provocateurs. Les Proud Boys (Garçons fiers) sont ainsi actifs dans au moins onze États depuis le début de l’été. « Les Proud Boys n’hésitent pas à cibler la presse », avance Hampton Stall. « Ils cherchent à tout prix des conflits, alors il leur arrive de s’en prendre aux journalistes. » « Les milices soutiennent uniquement la liberté d’expression lorsqu’elle les immunise des conséquences de leurs propos », complète Emily Gorcenski. « C’est un bouclier pour leur comportement ignoble. »

Les Patriot Prayer (Prière patriotique), autre milice de rue, se décrivent comme des chrétiens modérés malgré leurs alliances avec l’extrême droite [4]. Fin août à Portland dans l’Oregon, ils s’associent aux Three Percenters et aux Proud Boys pour défiler en soutien à Trump, utilisant du gaz poivré et des armes de paintball contre les journalistes et les manifestants Black Lives Matter. Lors du défilé, un des membres des Patriot Prayer, Aaron ‘Jay’ Danielson, est tué par un activiste anti-fasciste. Un suspect, Michael Reinoehl, est abattu le 3 septembre par une équipe des U.S. Marshals. Bien que 21 des 22 témoins aient déclaré que les agents ne s’étaient pas identifiés avant d’ouvrir le feu, Donald Trump a décrit cette exécution extrajudiciaire comme une « victoire contre un criminel violent ». « C’est très frustrant d’observer l’absence de poursuite judiciaire contre l’extrême droite », déplore Emily Gorcenski.

Des milices aspirant à une guerre civile

Les milices libertariennes décentralisées, telles que les Boogaloo Boys ou le Bundy Ranch, fantasment quant à elles sur la possibilité de conflits civils et opèrent de manière locale, au sein de réseaux très réactifs. Les Boogaloo Boys souhaitent ainsi provoquer une seconde guerre civile qu’ils nomment « boogaloo ». Ce terme renvoie historiquement à une musique et une danse hispanique et afro-américaine des années 1950 [5], avant d’être détourné par l’extrême droite pour devenir un synonyme de guerre raciale et civile. Depuis 2019, au moins 31 personnes affiliées à cette milice ont été inculpées de crimes variés, allant de la tentative de meurtre de deux policiers sécurisant une manifestation Black Lives Matter à Oakland en Californie, au complot de kidnapping de la gouverneure démocrate Gretchen Whitmer. « Il y a eu environ une demi-douzaine d’arrestations de Boogaloo Boys infiltrés dans des manifestations Black Lives Matter, cherchant à provoquer la police et les manifestants afin de créer le chaos », détaille le chercheur Hampton Stall.

Des relations étroites entre les forces de l’ordre américaines et des milices d’extrême droite ont été identifiées dans au moins quatorze États

Le forum 4chan est un des nombreux outils de mobilisation pour ces milices, qui se réunissent par ailleurs localement afin de mener des entraînements de tir. Une application smartphone imitant le fonctionnement d’un talkie-walkie, Zello, est l’un des outils permettant de passer des forums à l’action concrète. Hampton Stall et son équipe ont signalé une liste de 223 canaux de néo-nazis, allant des Boogaloo Boys à QAnon, un mouvement complotiste et pro-Trump [6], dont certains étaient liés à des actes violents datant des cinq dernières années. Or, la plupart de ces canaux sont encore actifs.

Un rapport d’un ancien agent spécial du FBI, Michael German, révèle que, depuis deux décennies, des relations étroites entre les forces de l’ordre et des milices d’extrême droite ont été identifiées dans au moins quatorze États [7]. Pour le journaliste Jeremy Scahill, se concentrer sur la menace que représentent des acteurs privés et suprémacistes blancs ne doit pas empêcher de surveiller les actions des forces de l’ordre, dont certains agents sont largement inspirés par l’idéologie qui anime ces milices. Avec, jusqu’à maintenant, le soutien total de la Maison Blanche.

Émilie Rappeneau

En photo : des membres de la milice Proud Boys de l’Ohio, en juillet 2020 / CC Paul Becker

Notes

[1Voir cet article (en anglais) dans lequel intervient Jeremy Scahill.

[2Voir cet article (en anglais) dans lequel intervient le sociologue Noël Cazenave.

[3Sur les débats concernant la diminution du financement des forces de l’ordre, lire notamment cet article du Guardian

[4Sur les alliances des Patriot Prayer avec l’extrême droite, voir notamment cet article (en anglais)

[5Pour comprendre les origines du boogaloo, voir ici. Selon Hampton Stall, le terme Boogaloo a été détourné par des participants fascistes sur le forum anonyme 4chan vers 2012, dans des discussions dédiées aux armes à feu.

[6Selon QAnon, Donald Trump mènerait une guerre secrète contre un « État profond », composé d’élites militaires et gouvernementales impliquées dans un réseau pédophile international.

[7Voir le rapport sur les relations étroites entre les forces de l’ordre américaine et des milices d’extrême droite. Lire également cet article du Guardian.