En première ligne

« 15 000 euros n’achètent pas une vie » : un employeur accusé d’avoir mis en danger une salariée décédée du covid

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par Raphaël Godechot, Sévan Melkonian

Matias Dos Santos a perdu sa femme, Maria de Fatima Dos Santos, décédée du Covid-19 alors qu’elle continuait de travailler pour son employeur, XPO Logistics, en région parisienne. En réaction à ce drame, l’entreprise lui a versé 15 000 euros avant de l’inviter à rencontrer la direction. Témoignage vidéo.

Ludgero Matias Dos Santos a perdu sa femme, Maria de Fatima Dos Santos, décédée du Covid-19 alors qu’elle continuait de travailler pour son employeur, XPO Logistics, sur le site de Fleury-Mérogis (Essonne). Il accuse l’entreprise d’avoir fait travailler sa femme sans protections et alors qu’il y avait des suspicions de cas positifs sur le site. « Le 29 mars elle est entrée à l’hôpital, le 5 avril elle était morte », confie-t-il. La société demande à le rencontrer le 13 mai. Étrangement, le 11 mai, il découvre un virement de 15 000 euros provenant de la société XPO Logistics sur leur compte joint. Pour Matias Dos Santos, « c’était juste pour m’amadouer, pour acheter mon silence ». Pour la direction de l’entreprise, il s’agit d’un « don » pour « accompagner les familles endeuillées » (voir leur réponse intégrale ci-dessous). Il a décidé de porter plainte.

Voici la réponse de la direction de XPO aux questions de notre journaliste, suite au récit de Matias Dos Santos présenté dans cette vidéo et également raconté au Canard enchaîné. Les réponses ont été adressées par écrit le 13 septembre, accompagnées de plusieurs documents internes concernant les « mesures barrières » à adopter sur le lieu de travail et les « bonnes pratiques du manager » face à l’épidémie.

Pourquoi avoir versé 15 000 euros sur le compte de Maria De Fatima et Matias Dos Santos ?

XPO : Cet accompagnement financier constitue un don de l’entreprise. Le groupe XPO en Europe a décidé d’accompagner les familles endeuillées par un don à hauteur de 15 000 euros.

Pourquoi avoir demandé à certains employés, notamment Maria de Fatima, de continuer le travail alors que vous ne disposiez pas des équipements de protections nécessaires face au Covid (selon le délégué syndical David Mondésir) ?

Le secteur du transport et de la logistique assure un rôle essentiel en livrant nourriture, fournitures médicales, équipements technologiques. Cela a été notre cas, notamment au printemps au plus fort de la pandémie. Nous avons répondu présent pour traiter les commandes, transporter et stocker les marchandises dont dépendent les familles, les communautés, les hôpitaux et les entreprises. Ceci sans perdre de vue que notre priorité a toujours été, et est encore, de protéger nos salariés, dont beaucoup sont en première ligne pour assurer la continuité des flux dans la chaîne d’approvisionnement.

La direction du groupe, et notamment celle du site de Fleury, n’a cependant, à aucun moment, exigé des collaborateurs qu’ils continuent de travailler dans ce contexte si particulier mi-mars. Les salariés restés à leurs postes, dont Mme Dos Santos, étaient tous volontaires et savaient pourquoi il était nécessaire de maintenir l’activité du site.

Concernant les équipements de sécurité, nous avons été en mesure de mettre à disposition du gel hydroalcoolique sur le site de Fleury à partir du 16 mars 2020, et les masques à compter du 19 mars. Les moyens de protection déployés par XPO ont été sans cesse réévalués et améliorés, tout au long de la crise sanitaire afin de s’adapter aux recommandations du gouvernement. La fréquence des réunions CHSCT a été renforcée et l’ensemble des parties prenantes ont participé aux échanges avec la Cramif, l’ARS, l’Inspection du travail, les élus et la direction du site.

Pourquoi, comme l’affirme M. Dos Santos, le directeur de XPO Fleury-Merogis M. Duboq n’a-t-il rien dit de l’état de santé de la collègue de Maria de Fatima Dos Santos, prénommée Émilie, qui était hospitalisée à cause du Covid ?

La direction a toujours fait preuve de transparence avec les équipes et les élus du personnel. Nous avons un dialogue constructif en France, notamment via des réunions régulières avec les membres de notre comité de groupe. Dans le cas du Covid-19, nous avons organisé des conférences téléphoniques hebdomadaires avec le comité de groupe en France ainsi que des mises à jour régulières avec les représentants du personnel sur nos sites. Nous informions les membres du CHSCT et les élus d’un cas de contamination avéré dès lors que nous avions l’information, tout comme l’ARS et l’Inspection du travail.

Dans ce cas précis, la direction du site a été informée de la contamination au Covid-19 d’une collègue, prénommée Émilie, le 19 mars par l’intermédiaire de David Mondésir, Délégué CGT. Dès lors, les salariés ont été réunis par petits groupes, à l’extérieur des locaux, pour les informer. Certains ont ensuite choisi de reprendre le travail quand d’autres ont préféré rentrer chez eux pour aller consulter leurs médecins respectifs.

Avez-vous déclaré la mort de Maria de Fatima Dos Santos comme accident du travail ?

Nous ne partageons pas d’informations administratives concernant des cas individuels, surtout s’agissant de données relatives à la santé des salariés.

Il est toutefois important de rappeler que le virus circulait et circule toujours de manière active au sein des populations, en particulier dans le cadre de leur vie sociale en dehors de leur travail, et qu’il est de fait difficile de pouvoir précisément affirmer où et quand est intervenue une contamination.

Que stipulait le document que vous vouliez faire signer le 13 mai à Matias Dos Santos ?

Il s’agissait d’un courrier signé du directeur général, supply chain-France de XPO, pour présenter ses condoléances à la famille de notre collègue, détaillant les montants de l’accompagnement financier. Il a simplement été demandé à M. Dos Santos de signer un double de ce courrier attestant qu’il l’avait reçu en main propre. Devant son refus, nous n’avons pas insisté.

Recueillis par Raphaël Godechot