6 février

« La journée sans portable est l’occasion de mesurer son degré de dépendance à cet outil »

6 février

par Rédaction

Stéphen Kerckhove, directeur de l’association Agir pour l’environnement, appelle à participer mardi 6 février à la journée sans smartphone ni téléphone portable. L’occasion selon lui de réfléchir à l’impact environnemental et personnel du numérique.

Mardi 6 février 2024, la « Journée sans portable » est l’occasion de mesurer son degré de dépendance à un outil qui a largement dépassé la place d’un simple accessoire. Tenter, durant une simple journée, de résister à l’appel des notifications, c’est réfléchir à la place prise par cet instrument qui nous ensorcelle toutes et tous.

C’est une histoire d’Amish et de lampe à huile, d’autorisation de la 5G et de possible interdiction de l’usage du portable pour les enfants, d’« en même temps » et d’ambivalence politique. C’est une histoire d’un président de la République qui, les années impaires se fait le chantre de la numérisation de nos vies et envies, déroulant le tapis rouge au petit monde des multimilliardaires de la Silicon Valley et les années paires s’offusquent des choix politiques opérées par le président des années impaires…

Après avoir soutenu le déploiement de la 5G, Emmanuel Macron a profité de sa conférence de presse de rentrée le 16 janvier dernier pour déclarer que « l’irruption des nouvelles technologies bouscule nos repères » avant d’ajouter qu’il est nécessaire de « reprendre le contrôle de nos écrans qui trop souvent enferment là où ils devraient libérer ».

Près de sept heures par jour

En 2019, Agir pour l’Environnement et l’association Priartém ont contesté les attributions de fréquences accordées aux opérateurs d’émettre en 5G dont la vocation première était d’accompagner et stimuler l’augmentation du trafic numérique issue de l’explosion du streaming qui représente désormais près de 80 % du trafic internet mondial. En France au troisième trimestre 2023, selon l’Autorité de régulation des télécommunications, le trafic de données consommées sur les réseaux mobiles s’élève à 3,4 exaoctets, l’équivalent de 75 milliards d’heures de vidéos téléchargées ! Ce trafic a augmenté de 18 % d’une année sur l’autre.

En toute cohérence, après s’être inquiété des effets collatéraux de la 5G, nous alertons aujourd’hui sur les conséquences énergétiques, climatiques et sanitaires de l’addiction croissante des jeunes et des moins jeunes à cette prothèse technique que constitue le mobile.

Selon Michel Desmurget, docteur en neuroscience, dès deux ans, les enfants des pays occidentaux sont exposés quotidiennement à des écrans deux heures durant. En maternelle, ce sont près de 1000 heures d’exposition, soit davantage que le temps consacré à l’enseignement ! Entre 13 et 18 ans, ce tête-à-tête numérique passe à 6 heures 45 par jour. Nuit et jour, nous caressons ce « doudou numérique ».

Cet « écran total » n’est en rien une exclusivité adolescente. Une étude menée par le cabinet Eleas avec Opinion Way en novembre 2018 révèle que 47 % des salariés restent connectés le soir après le travail, 45 % le week-end et 35 % pendant les congés. Un autre sondage Ifop commandé par Agir pour l’Environnement à paraître à l’occasion de la journée sans portable révèle que 60 % des 18-24 ans « profitent » d’un réveil nocturne pour consulter leur mobile.

Cette omniprésence n’est pas sans effet. Infox et autres fake saturent les échanges numériques. Le harcèlement en ligne prend des proportions hors de contrôle. L’accès des enfants à des sites pornographiques est désormais totalement banalisé. Parallèlement, le rythme stroboscopique institué par les réseaux sociaux engendre une chute des capacités attentionnelles des enfants. L’exposition précoce aux écrans réduit significativement la richesse syntaxique des enfants et leur capacité à énoncer clairement des concepts. Dans le cadre familial, le temps de discussions aurait diminué de deux tiers et le temps de sommeil d’une heure en quelques décennies.

Conditions de fabrication

L’impact psychosocial n’est pourtant pas la seule conséquence de cette invasion numérique. Pour fabriquer ce concentré de technologie, des dizaines de milliers de « mineurs mineurs » doivent extraire des métaux et terres rares dans des conditions régulièrement dénoncées par l’Unicef. Un smartphone contient environ 70 métaux et terres rares différents. Les stratégies d’obsolescence programmée conduisent les utilisateurs à remplacer leur mobile tous les 23 mois en moyenne. Près de neuf Français sur dix changent leur téléphone alors qu’il est encore en état de marche.

En amont de la journée sans téléphone portable, le 6 février, vous pouvez évaluer votre addiction en remplissant l’autodiagnostic proposé par Agir pour l’environnement et trouver quelques solutions simples comme proscrire les mobiles des chambres à coucher, refuser de l’utiliser durant les repas, avant de se s’endormir ou le matin en se levant.

Ces quelques gestes ne règleront pas, à eux seuls, une addiction collective. Ils devront être accompagnés d’actions réglementaires contraignant les grands acteurs du numériques à ne plus faire de nos enfants des cibles numériques emprisonnées dans des bulles cognitives.

La loi du 7 juillet 2023 instaure une majorité numérique obligeant les réseaux sociaux à refuser l’inscription à leurs services des mineurs de moins quinze ans. Malheureusement, cette loi accorde un délai de deux ans après son entrée en application. Délai d’autant plus incompréhensible que d’après une étude de 2021 conduite par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, « la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers l’âge de huit ans et demi et plus de la moitié des enfants de dix à quatorze ans seraient présents sur ces plateformes ».

TikTok, Snapchat ou Instagram comme la quasi-totalité des réseaux sociaux continuent à établir comme limite « légale » l’âge de treize ans en-deçà duquel un utilisateur ne peut théoriquement pas s’inscrire. Or, aucun contrôle n’est mis en œuvre pour faire respecter cette règle interne.

Par ailleurs, la stratégie numérique pour l’éducation 2023-2027, présentée par le ministre de l’Éducation nationale repose sur une série de mesures visant à « accélérer l’usage des outils numériques ». Avant de déployer des outils dont les effets sanitaires sont particulièrement discutés au sein de la communauté scientifique, une évaluation des conséquences sanitaires et environnementales du « tout-numérique » doit être menée. Parce que l’usage compulsif des écrans crée les conditions d’une pollution électromagnétique, électronique et énergétique, un moratoire sur la mise en œuvre de la stratégie numérique pour l’éducation doit être adoptée et un débat public organisé.

Stéphen Kerckhove, directeur général de l’association Agir pour l’environnement