Une base de données de Basta Media, compilée et analysée par Ivan du Roy et Ludo Simbille. Graphiques interactifs : Philippe Rivière // Design : Christophe Andrieu.
Les forces de police et de gendarmerie ont pour mission d’assurer la sécurité des personnes, des biens et des institutions. À ce titre, elles disposent du pouvoir de recourir à la force et d’utiliser leurs armes à feu, dans des circonstances précises. Ce pouvoir, conféré par l’État, occasionne des morts. Qui sont-ils, pourquoi et comment sont-ils tués ? Dans quelles conditions l’action des forces de l’ordre se révèle-t-elle fatale ?
En France, au cours des quarante-six dernières années, … personnes sont décédées à la suite d’une intervention des forces de l’ordre, dont … du fait d’agents en dehors de leur service.
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Nos informations couvrent la période de janvier 1977 au 31 décembre 2022.
Sur les graphiques qui suivent, chaque décès est représenté par un point, qui vous permet d’obtenir des informations plus précises sur le contexte et les circonstances de l’intervention des forces de l’ordre.
Parmi ces … personnes, … étaient des femmes adultes , et … des enfants ou des adolescents de moins de 18 ans .
L’immense majorité, …%, étaient de sexe masculin . On ne compte au total que … femmes , tous âges confondus.
La moitié des morts recensés avaient moins de … ans.
Nombre de mineurs :
… enfants , et
… adolescents de
… à 17 ans .
… personnes décédées ont plus de
… ans .
La répartition géographique interroge.
Près de la moitié de ces affaires se concentrent en région parisienne et au sein des agglomérations lyonnaises et marseillaises. Pourtant, ces territoires n’abritent qu’un quart de la population. Y a-t-il des conditions particulières de l’exercice de la police qui entraînent une montée de la tension, ou un suivi moins strict des procédures d’engagement ?
Parmi ces … personnes, … ont été tuées par arme à feu (…%).
Les parties du corps les plus fréquemment touchées par les balles mortelles sont la tête, le cœur et la nuque.
… sont décédées dans un accident routier (…%), la plupart du temps dans le cadre d’une course-poursuite.
… décès sont liés à un malaise ou une asphyxie (…%). Les chutes et les noyades représentent …% des décès.
Toutes ces affaires sont très différentes et posent la question de l’usage de la violence par les forces de l’ordre. Le recours aux armes à feu par les forces de l’ordre est strictement encadré.
Parmi les … personnes tuées par balles, … n’étaient pas armées, soit …%.
… des suspects abattus avaient préalablement attaqué les forces de l’ordre.
Parmi les
… personnes armées,
…
étaient en possession d’une
arme à feu
au moment de leur mort.
… personnes d’une arme blanche — hache,
couteau, ciseaux…
Les armes dites
« non létales »
(taser, flashball, grenades) sont à l’origine de
… morts.
… personnes ont perdu la vie en fuyant les forces de l’ordre et … décès ont eu lieu à la suite d’une interpellation.
… personnes sont mortes alors qu’elles étaient en état d’arrestation dans un commissariat ou une gendarmerie, ou lors de leur transfèrement alors qu’elles venaient d’être interpellées .
… suspects ont été abattus dans le cadre d’opérations anti-terroristes.
C’est par exemple le cas d’Éric Schmidtt, dit « Human Bomb », dans une école de Neuilly-sur-Marne en 1993. , ou des frères Saïd et Chérif Kouachi après leur attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo en 2015.
En dehors de ces situations exceptionnelles, des interventions a priori banales peuvent devenir meurtrières. … personnes sont mortes dans le cadre d’un contrôle d’identité ou de ses suites, …% des missions concernées.
… décès ont lieu après une sollicitation des forces de l’ordre dans le cadre d’une enquête ou suite à un signalement (« état de démence », tapage nocturne, voisin armé, etc.)
… personnes sont mortes dans le cadre d’un « flagrant délit ». Près de la moitié de ces cas concernent des vols de voiture ou cambriolages de maison.
… des cas considérés impliquaient des agents en-dehors de leur service.
Ces drames surviennent souvent lors de violences familiales. En cela, 2017 représente un « pic ». L’année précédente, l’autorisation de porter l’arme en dehors du service avait été assouplie, pour les policiers et les gendarmes.
En 46 ans, … personnes ont été tuées dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre face à des manifestations de rue.
Parmi la police nationale, les brigades anti-criminalité (Bac) ressortent particulièrement alors que leurs effectifs sont restreints.
Les patrouilles de la Bac se font en civil. Leur mission est d’intervenir « dans les quartiers sensibles pour veiller à l’ordre public ou le rétablir », exclusivement en milieu urbain pour rechercher des flagrants délits.
De l’effet Pasqua à l’effet Valls-Darmanin
Par le passé, on observe un pic des interventions létales lorsque Charles Pasqua, représentant de l’aile dure de la droite, devient ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, à deux reprises (1986 puis 1993). Puis un autre pic en 2001, au crépuscule du gouvernement Jospin. Plus récemment, à partir de 2014 (gouvernement Manuel Valls puis élection d’Emmanuel Macron), le rythme de morts repart nettement à la hausse, avec plus de 20 personnes tuées chaque année. Un nouveau seuil est franchi en 2020 (40 morts) puis en 2021 (52 morts). L’usage de la violence policière létale est en train de se banaliser en France ?
1988, année d’élection présidentielle, apparaît comme un « pic ». Ses 30 décès sont liés à un contexte particulier : dix-sept d’entre eux ont eu lieu lors de l’assaut donné par les forces de l’ordre pour mettre fin à la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. Les circonstances de cet assaut, mené durant l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, sont le résultat d’une instrumentalisation politique de la part des deux candidats.
L’ensemble de ces données illustre, d’abord, la diversité et la complexité des situations auxquelles police et gendarmerie sont confrontées dans le cadre de leur mission – assurer la sécurité des personnes, des biens et des institutions. Notre recensement ne préjuge pas de la légitimité – ou non – de l’usage de la force. Il pose une question récurrente : dans quels cas cette sécurité est à ce point menacée qu’elle justifierait de tuer ? C’est sur ce point que nos données visent à ouvrir le débat et à combler l’absence d’information, aucune donnée officielle n’existant sur ce sujet.
Premier élément saillant : la moitié des personnes recensées ont été tuées parce que les représentants de l’ordre ont pris la décision d’ouvrir le feu (les accidents existent mais restent rares). Pourtant, les interventions face à un suspect armé, demeurent faibles. Les suspects abattus lors d’opérations antiterroristes apparaissent lors de deux périodes bien distinctes – au milieu des années 90 puis à partir de 2015. A contrario, parmi les personnes tuées par l’ouverture du feu des forces de l’ordre, plus de la moitié n’étaient pas armées.
Deuxième élément : un profil de la victime est récurrent. Il s'agit d’un homme âgé de moins de 27 ans, au nom à consonance africaine ou maghrébine qui habite un quartier populaire en périphérie d’une agglomération comme Paris, Lyon ou Marseille. Cette géographie est sensiblement différente de celle des crimes et de la délinquance violente – homicides, coups et blessures volontaires, vols et violences avec armes, violences sexuelles – même si l’Île-de-France, et notamment Paris, ou la ville de Marseille demeurent des points chauds. Le taux d’homicides ou les violences sexuelles sont, par exemple, parfois plus élevés dans les petites villes et villes moyennes d’autres régions. Il en est de même pour les profils des délinquants : si les interventions policières mortelles visent prioritairement les moins de 25 ans, ceux-ci ne sont pas systématiquement prédominants parmi les auteurs de crimes ou de délits commis avec violences. Ils sont par exemple moins mis en cause dans les affaires d’homicides que les plus de 30 ans. Idem pour les violences sexuelles. La plupart des personnes tuées suite à une action des forces de l’ordre n’avaient soit commis aucun délit, soit des délits mineurs (infractions au code de la route, tapage nocturne), soit des petits délits économiques (vol de voitures, vol à l’étalage), soit encore des infractions provoquées par l’interpellation elle-même (délit de fuite). Pourtant, ces cas constituent la moitié des personnes décédées des suites d’une intervention. Les jeunes seraient-ils présumés dangereux, et sur quels critères ? Subiraient-ils davantage de contrôle d’identité susceptible de mal tourner ?
Depuis une dizaine d’années, le nombre d’interventions policières létales ne cesse d’augmenter, atteignant désormais une quarantaine de morts, voire davantage, chaque année, contre une vingtaine auparavant. Est-ce lié au contexte issu des attentats terroristes ? A la crise – de vocation, de formation, d’éthique – que traverse la corporation policière ? A la quasi impunité judiciaire dont les violences illégales font l’objet ? Les décès par malaise ou asphyxie, impliquant souvent des techniques d’immobilisation controversées, sont plus nombreux. Les décès du fait d’armes dite non létales, s’ils demeurent marginaux, augmentent également.
Ces interventions policières mortelles constituent la partie la plus visible de l’action des forces de l’ordre. Leur augmentation semble aussi marquer un durcissement des autres actions de coercition, en particulier lors des opérations de maintien de l’ordre avec la multiplication des blessures graves et de mutilations chez les manifestants. La manière dont elles sont réalisées, leur légitimité, doivent continuer d’être interrogées. Le but est aussi d’en tirer des enseignements pour préserver au maximum la vie et de s’assurer que l’impunité ne soit pas la règle en cas d’usage non justifié de la force.
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